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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Dossier de la redaction

Travail des prisonniers : “Laissez-nous bosser ou nous mourrons à petit feu”

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Plus de 36.000 prisonniers sont entassés dans les 37 établissements pénitentiaires que compte le Sénégal. Ils vivent dans la promiscuité et souffrent de leur inactivé, développant même quelques maladies. Ils ne vivent qu avec l allocation journalière de prise en charge du prisonnier votée par l Assemblée nationale et fixée à 625 F. Même ceux condamnés à des travaux forcés sont cantonnés entre quatre murs n ayant de contact avec l extérieur que lorsqu ils répondent à une convocation d un juge. Et pourtant, nombre de détenus paieraient chers de leur sueur et de leurs muscles, rien que pour être en contact avec l extérieur, avoir un bain de soleil et retrouver leur moral des grands jours. Le travail pénitentiaire, ils l appellent de tous leurs vœux.

“Tout ce que je veux, moi, c est que vous disiez aux autorités que dans le passé, ils nous sortaient pour effectuer des travaux d intérêt public. Nous sommes en Casamance. La terre est là et nous pouvons la cultiver à n importe quelle période de l année. Si nous n y gagnons aucun centime, ça nous permettra, au moins, de rester en bonne santé, le temps de purger notre peine”. Les propos sont d un détenu qui a profité de la visite de nos confrères du Groupe Futurs Médias à la prison de Ziguinchor pour vider son cœur. Il vient dire ce que bon nombre des détenus des 37 prisons que compte le Sénégal murmurent tout bas.

36.000 détenus dans les 37 prisons du Sénégal

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Selon des chiffres obtenus de la Direction de l administration pénitentiaire, durant l année 2014, 36.028 personnes ont été incarcérées dans les 37 établissements pénitentiaires que compte le Sénégal. Soit une hausse de 1.411 détenus par rapport à 2013, année durant laquelle la population carcérale était chiffrée à 34.617 détenus. Les statistiques montrent que sur les 36.028 détenus enregistrés en 2014, près de la moitié, soit 17.315 en valeur absolue et 48% en valeur relative, est incarcérée dans les 8 prisons que compte la région de Dakar. La région pénitentiaire de Thiès-Diourbel est la deuxième circonscription qui enregistre le plus de détenus avec 21%. Suivent les régions (pénitentiaires) de Kaolack-Tamba-Kaffrine (10%), Saint-Louis-Matam (8%), Tambacounda-Kédougou (7%), Ziguinchor-Sédhiou-Kolda (6%).

Tous ces prisonniers sont cloitrés entre quatre murs et ne sont en contact avec l extérieur que lorsqu ils sont convoqués par le juge d instruction ou lors de leur procès. Dans les prisons, ils vivent dans la promiscuité, les établissements pénitentiaires sénégalais soufrant, en effet, de surpopulation carcérale.

120 prisonniers dans des chambres de 10 m de long et 5 m de large

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Par exemple, la Maison d arrêt de Rebeuss étouffe. Elle est le plus grand établissement pénitentiaire du pays qui regroupe le plus grand nombre de détenus provisoires (pas encore jugés). D une capacité de 550 détenus, il compte plus de 2000 prisonniers aujourd hui et frôle les 2500 détenus durant les trois mois de vacance judiciaire, correspondant à la période hivernale.

Les pensionnaires sont logés dans les 7 secteurs de la prison et sont répartis dans 43 chambres de dimensions variables. Hormis les cellules punitives et d’isolement, installés sur le chemin de ronde (un long couloir qui longe le mur de clôture de la prison côté corniche ouest), toutes les chambres sont collectives.

Les pièces les plus grandes font environ 10 mètres de long sur 5 m de large pour 3m de haut. Prévues pour 40 détenus, elles en accueillent parfois 100, voire 120. En guise de lits, des plaques de fer sont fixées aux murs et sur lesquelles sont disposées des nattes. Certains détenus se couchent à même le sol, en quinconce. Chaque dortoir est doté de six petites fenêtres de 50 centimètres carrés environ. Trois de chaque côté, avec trois conduits d’aération. Récemment, des extracteurs d air ont été installés sur financement de l Agence française de développement (Afd). Une seule douche-toilette au fond à droite. La plupart des chambres ont un problème d’étanchéité, ce qui rend encore plus difficiles les conditions de détention, surtout en période hivernale.

L’entretien des chambres (balayage et nettoyage) est assuré chaque matin par les détenus sous la direction des chefs de chambre. Des horaires sont aménagées pour les promenades, par petits groupes, entre 9 heures et 12 heures, le matin, et entre 15 et 18 heures, le soir, chaque détenu n ayant droit qu à 1 h de promenade. Le reste du temps, les détenus sont cloitrés en quatre murs. Même les repas sont servis à l’intérieur des cellules.

Au camp pénal, quelque 827 détenus sont répartis dans 15 dortoirs. La plupart purge de longues peines, allant de 2 ans à la perpétuité. Près de la moitié sont condamnés à des peines de travaux forcés. Dans les autres prisons du pays, c est le même constat. Les détenus souffrent d une inactivité chronique.

“En réalité, même les détenus condamnés aux travaux forcés n exécutent jamais ces taches. La plupart sont des gens dangereux, des agresseurs condamnés ou des meurtriers. Nous ne courrons pas le risque de les mettre en contact avec les populations parce que nombre d entre eux en profiteraient pour essayer de s enfuir”, explique un agent du Camp pénal de Liberté 6.

Qu à cela ne tienne. Et qu en est-il des autres détenus de droit commun qui ont maille à partir avec la justice et qui sont conscients d avoir fauté et sont prêts à purger leurs peines sans anicroches ? Ils souffrent tout simplement de leur immobilisme.

“Le manque d espace oblige les détenus à rester assis ou debout de 9 à 13 heures quand ils sont dehors. C est inadmissible pour une personne condamnée à 10 ans de vivre ainsi toute la durée de sa détention”, reconnait le Directeur de la prison de Ziguinchor, Mohamed Lamine Diop. Ce qui fait que nombre de responsables pénitentiaires sont favorables au travail de certains détenus dit de confiance, si les conditions sont réunis.

Augmentation des risques de maladies cardiaques et de diabète

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“Tout le monde le sais. Le sédentarisme augmente les risques de maladies cardiaques et de diabète. Dans les prisons, nous gérons souvent des cas de détenus qui se plaignent de douleurs au dos, de dégénérescence musculaire, de maladies cardiaques et de diabète”, nous révèle un cadre de l administration pénitentiaire. Il soutient que le travail participe sans ambiguïté à la mission de réinsertion confiée à l Administration pénitentiaire. L on donne ainsi en exemple la Maison de correction de Sébikotane dont les pensionnaires sont les mieux lotis du Sénégal. Ils allient emprisonnement et travail et sortent après avoir purgé leurs peines avec une pécule en poche.

Sébikotane, les détenus de luxe

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Créée le 28 octobre 1984, la Maison de correction de Sébikotane fait, en effet, office de vitrine de l’administration pénitentiaire. Nichée derrière le site de l’école normale William Ponty, elle a une vocation agricole. Ici, rien n’indique qu’on est dans une prison, à part la plaque d’entrée, la double porte en fer et en bois des dortoirs et l’inscription «Détention» près du poste de police. Pas de barbelés pour sécuriser la détention. Dans l’arrière-cour sont stationnés un tracteur et une fourgonnette pour le transport des détenus. Des vaches sont gardées dans une étable. Derrière le bloc administratif, un espace agricole verdoyant est aménagé. Les 72 détenus condamnés que compte cet établissement pénitentiaire, encadrés par 31 agents, s’y adonnent au maraîchage. Des arbres fruitiers y sont plantés.

A quelque 5 kilomètres de son siège, la maison de correction exploite un périmètre agricole de 10 hectares. Ici, les prisonniers y cultivent du maïs, du riz, de la carotte, du gombo... Les détenus qui travaillent dans ces exploitations agricoles sont rémunérés en conséquence. Le fruit de leurs activités sert en partie à améliorer les plats et les conditions de détention. Une autre partie est gardée pour chaque détenu. Une sorte d’épargne pour redémarrer sa vie à sa sortie de prison. Ils mangent bien et ne sont pas hermétiquement enfermés entre quatre murs, conscients qu ils sont des “privilégiés” et doivent se garder de commettre une erreur qui pourrait leur couter chère. Leurs trois dortoirs sont bien ventilés et équipés chacun d’un poste téléviseur, avec, cerise sur le gâteau, un abonnement à Canal+horizon. Au milieu de la cour de cette détention, se dresse un arbre. Les détenus, des ouvriers agricoles plus que des “bagnards,” sont bercés par le gazouillis des oiseaux qui tressent leurs nids sur l’arbre.

Manque de personnel à l administration pénitentiaire

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Un cadre de l administration pénitentiaire soutient que l idéal est que tous les prisonniers (sauf les plus dangereux qui seraient tentés de s évader) devraient vivre dans les mêmes conditions que ceux de Sébikotane. Selon lui, “même en dehors des raisons sanitaires, l employabilité des détenus diminue le risque de récidive. Le travail permet, dans la mesure du possible, d entretenir ou d augmenter la capacité du détenu à gagner sa vie après sa sortie de prison. Il permet aussi au détenu de sortir de cellule, de s’extraire du confinement et de l’inactivité, associés au stress et à la déprime”. Un gardien de prison pense que chaque matin, certains détenus auraient pu être extraits pour servir à la communauté. “Vous voyez les bus Dakar Dem Dikk comment ils sont sales. Certains détenus auraient pu se charger de leur nettoyage tous les jours, comme ils pourraient se charger du nettoiement de certains édifices publics. Ca les aurait changé, leur aurait permis de se dégourdir les jambes, de donner sens à leur vie, de se racheter, de payer à la société le mal qu il leur a fait. Et croyez-moi, nombre de détenus se seraient portés volontaires si on leur offrait cette aubaine. Il fut un temps où il y avait des détenus du Cap Manuel qui s occupaient du nettoyage du palais présidentiel et de certains établissements sanitaires comme l hôpital Aristide Le Dantec. Et ce que nous avons constaté c est qu un détenu qui s’occupe pendant sa journée, est un détenu beaucoup plus correct et plus calme avec le personnel. Si les détenus restent en cellule, ils sont plus nerveux, on risque plus de mutineries», explique un garde pénitentiaire.

Seulement, même s ils sont conscients que le travail des détenus permet de mieux socialiser les prisons, l on note qu en l état actuel des choses, l administration pénitentiaire ne peut rien faire pour changer la donne car elle manque sérieusement de personnel de surveillance. La plus grande prison, Rebeuss, avec ses 2300 détenus, ne compte que 116 agents, dont 7 femmes. Et le Camp pénal de Liberté 6, avec une population carcérale de 800 personnes, n a que 93 agents.

Une manière de dire que le travail pénitentiaire doit d abord être une volonté politique avant de devenir une réalité.



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